Adobe, Serif et le WWF

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Ou comment la sortie d’un logiciel de retouche d’image concurrent de Photoshop influence le réchauffement de la planète…

Je travaille avec Adobe Photoshop depuis environ 30 ans. Séquence souvenir… Nous sommes en 1990, je viens de trouver mon premier emploi, Apple vient de sortir son premier modèle couleur abordable (100.000 francs belges quand même). J’emprunte l’argent, je l’achète et je me retrouve avec 2 disquettes 3.5 inches de Photoshop 1.0… Le début d’une longue histoire…

Photoshop

Revenons un peu en arrière. En 1987 les Macintosh sont livré avec des écrans 1-bit noir et blanc et le logiciel MacPaint qui travaille également en 1 Bit.
A la même époque, un étudiant de l’université du Michigan, Thomas Knoll , est occupé à rédiger sa thèse de doctorat sur le « traitement des images numériques ». Pour l’aider dans son travail il fait l’acquisition d’un Apple Macintosh Plus, à son grand étonnement celui-ci est incapable d’afficher des images en niveaux de gris. Il se lance donc la rédaction d’une fonction pour simuler les niveaux de gris sur un écran monochrome. Thomas ne s’arrête pas là et programme d’autres fonctions et bouts de codes.
Son frère cadet John Knoll qui travaille déjà chez ILM (Industrial Light and Magic, société d’effets spéciaux créée par Georges Lucas en 1975) est très impressionné par son travail qui lui rappelle ce qu’il a pu voir sur le Pixar Image Computer en démo chez ILM. Ensemble ils rassemblent les bouts de codes écrits par Thomas et en font une application autonome qu’ils appellent « Display ».


Mais John vient avec d’autres souhaits, un module pour enregistrer les images dans un autre format, un autre pour corriger le gamma,… et au bout de quelques mois de programmation Display devient PhotoShop (avec un S majuscule). A ce moment les frères Knoll envisagent d’en faire une application commerciale.

Adobe

Au début de l’année 1988, Thomas se donne 6 mois pour sortir une version bêta d’ImagePro que John pourra aller montrer aux entreprises de la Silicon Valley.
Parmi celles-ci une se montra intéressée: Barneyscan. Barneyscan était le premier à proposer un scanner de bureau capable de fournir des images 24 bits haute résolution, problème: il ne trouvaient pas d’acheteur car il n’y avait pas sur le marché d’application assez performante pour traiter les images scannées d’une telle qualité.


Dans une interview de 2010 le co-fondateur de Barneyscan explique:

John m’a montré la version 0.35 si je me souviens bien, et j’étais déjà KO. On pouvait dé-zoomer (pour que les gens puissent maintenant voir leurs images en entier), on pouvait augmenter la netteté, adoucir, éclaircir, assombrir, ajuster les courbes et faire des dizaines d’autres transformations étonnantes que je n’avais encore jamais vues ni ne pouvais comprendre.

Thomas Knoll demandait 300.000 $ plus 18% de revenus pour les droits sur Photoshop, mais Barneyscan leur a fait une offre différente: regrouper le logiciel avec le scanner Barneyscan, et les Knoll recevraient une redevance de 250 $ à chaque vente. Le logiciel a également été modifié pour que le programme ne fonctionne que si un scanner Barneyscan était connecté à l’ordinateur.
En 1990 cependant John présenta Photoshop à l’équipe créative de chez Adobe; son directeur Russell Brown encouragea urgemment Adobe d’acquérir la licence et distribuer l’application. La suite est connue, régulièrement mis à jour, constamment augmenté de plugins directement en lien avec les besoins du marché et profitant d’une ergonomie sans cesse plus poussée, Photoshop est devenu LA référence en matière de traitement d’images bitmap.

Serif

Mais revenons en 1987. Cette année-là un groupe d’informaticiens anglais fondent la société SERIF avec pour objectif de commercialiser des alternatives économiques aux solutions DTP très onéreuses de l’époque. La première s’appelle PageStar, application de mise en page de publicité tournant sur Windows 2.0, puis en 1991 PagePlus application complète de mise en page pour Windows 3.0, DrawPlus en 1994 pour le dessin 2D, PhotoPlus en 99 pour la retouche d’images bitmap, WebPlus en 2000 pour la conception de sites web, MoviePlus en 2003 pour l’édition video.

Serif poursuit le développement de ces applications tout au long des années 90 et 2000, offrant de constantes mises-à-jour et améliorations à ses utilisateurs.

En 2014 c’est le tournant Affinity. Cette année-là Serif lance Affinity Designer, une application de dessin 2D totalement ré-écrite pour MacOS et destinée à remplacer à terme l’application DrawPlus. Toujours avec l’ambition d’offrir une alternative économique mais néanmoins crédible et sérieuse au ténor de la catégorie (Adobe) sortent en 2015 Affinity Photo et en 2019 Affinity Publisher.
Et le succès est au rendez-vous ! Qu’on en juge:

  • Affinity Designer: gagnant 2015 du « Apple Design Award »
  • Affinity Photo: élu « Best Imaging Software » par la « Technical Image Press Association en 2016 et « Best iPad app of the year » par Apple
  • Affinity Publisher: élu « Mac app of the year » par Apple en 2019

A contre-courant de ce qui se fait actuellement chez les éditeurs de logiciel, Serif ne propose pas d’abonnement mensuel. On achète (55 €) une licence à vie sur la version actuelle de l’application (1.8.5) avec mises-à-jour gratuites jusqu’à la version 2.0 (date de sortie inconnue actuellement). C’est aussi simple que ça !

Le WWF

Et le réchauffement climatique dans tout ça ? J’y viens…
Actuellement l’abonnement le moins cher chez Adobe coûte 12.09 € par mois avec Photoshop et Lightroom inclus, les mises-à-jour sont inclues à vie mais ça coûte quand même 145.08 € par an, 1450.8 € au bout de 10 ans, quand même…
Personnellement j’ai acheté Affinity Photo v. 1.8.3 en promo pour la modique somme de 28 €. Depuis mon achat j’ai déjà eu droit à 2 mises à jour gratuites (1.8.4 et 1.8.5). Si je compare avec les prix de l’abonnement Adobe mon achat est déjà rentabilisé.
J’ai donc résilié mon abonnement. Je me souviens c’était un samedi, après je suis allé me balader en ville. Au coin d’une rue un gars vient vers moi: » Vous avez deux petites minutes à me consacrer ? » En général je répond que non mais là j’avais le temps, je l’écoute donc me déballer son baratin mais il avait des accents de sincérité, ça m’intéresse ce qu’il raconte, il se fait que j’en suis même déjà convaincu: les activités humaines exercent aujourd’hui une pression sans précédent sur la nature sauvage. Les changements environnementaux qui en découlent (destruction massive d’écosystèmes entiers pour la culture du blé, du soja et pour l’élevage bovin) favorisent les contacts entre espèces. Les zoonoses, ces infections qui se transmettent de l’animal à l’homme sont connues depuis longtemps. Le corona virus qui occupe toute notre attention aujourd’hui vient du monde animal, c’est certain. Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de l’IPBES, le panel d’experts de l’ONU sur la biodiversité ne dit pas autre chose:

Le processus qui conduit un microbe, tel qu’un virus, d’une population de vertébrés – chauve-souris par exemple – dans laquelle il existe naturellement, jusqu’aux humains est complexe, mais causé par l’Homme (…), les actions humaines créant l’occasion pour les microbes de s’approcher des populations humaines

Bref, je me laisse facilement convaincre. Il me propose de faire un don mensuel au WWF d’un montant de … 12 € ! Soit le prix de mon abonnement chez Adobe…

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